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Premiers jardins " japonais".

Une naissance sous influence.
Comme nous l'avons vu précédemment, il est probable que les seuls "maîtres jardiniers" du début de l'époque Heian (794-1185) aient été des émigrés du continent. Mais très vite, les aristocrates nippons sont devenus leurs propres maîtres d'oeuvre et se sont occupés eux-même de la conception de leur jardin. Il nous faut préciser que la notion de "jardinier" n'existe pas encore à cette époque : pour évoquer l'acte de faire un jardin, on parle de "l'art de dresser les pierres" (ishi wo taten koto 石をたてん事), fait soulignant l'importance de l'élément minéral dans le jardin et tout le respect qui lui est porté par les japonais.

Heian est une époque de développement pour le pays. La puissante famille Fujiwara a pris et exerce le pouvoir politique (à la place de l'empereur qui n'a plus qu'un rôle d'apparat). En 894, le déclin de la dynastie des Tang fait que la régence décide de mettre un terme aux relations avec la Chine, jugeant que le Japon est assez "mûr" pour faire évoluer ses propres idéaux. Va s'en suivre une assimilation et une évolution proprement japonaise des idées du continent. Cette évolution culturelle va être notamment visible dans la poésie, l'art majeur du moment. Ainsi, non seulement la noblesse se doit de connaître l'ensemble des recueils classiques chinois, mais la poésie sert également à exprimer ses propres émotions au travers d'allégories ayant pour thème la Nature. Pas étonnant de fait, de retrouver ces mêmes principes dans l'agencement des jardins. A noter que c'est à cette époque qu'est également développé le Tanka (forme de poème court proprement japonais), ainsi que le système d'écriture syllabique des Kana, exclusivement réservé à la gente féminine et qui servira à l'écriture du Genji Monogatari ("Le dit de Genji", premier roman connu de l'histoire de la littérature mondiale, qui décrit précisément les jardins de l'époque).

 

Premiers écarts.
La science chère aux chinois de "l'équilibrage des forces de l'univers" (fengshui) va être elle aussi assimilée (comme tant d'autres) par les "architectes/bâtisseurs" de la nouvelle capitale Heiankyô pour devenir le fûsui 風水 (litt. "souffle et eau"), ensemble de méthodes propitiatoires comportant des adaptations "locales" par rapport au modèle original du continent. Ainsi certains principes d'agencement appliqués à l'élaboration du palais impérial et de la ville tout entière, vont être appliqués dans la conception même des jardins (comme l'importance d'une orientation au Nord, que l'eau prenne source à l'Est, etc.). Bien plus qu'une réelle volonté de "vivre en harmonie avec l'univers", les aristocrates japonais esperaient surtout obtenir en suivant ses "règles", prospérité et longue vie. Mais une très grande attention devait être portée à "l'équilibrage" de ces forces naturelles, sous peine de voir l'effet escompté s'inverser. De fait, il est indéniable que les préceptes issus du syncrétisme des théories du yinyang et des 5 éléments (inyogogyôsetsu 陰陽五行説), étaient appliqués de manière plus ou moins fidèle, dans la création de complexes englobant bâtiments et jardin (les japonais s'octroyant en effet certaines "souplesses" dans leur application au fil des siècles). Et ce sont peut être ces "écarts" faits à la tradition chinoise, qui motivèrent Tachibana no Toshitsuna (1028-1094) à rédiger vers la fin du XIe siècle, son fameux Sakuteiki 作庭記, dans lequel il déplore le fait que les "[maîtres jardiniers] semblent se contenter d'observer, par exemple, les paysages naturels, et d'effectuer leur travail coûte que coûte, sans même distinguer les interdits". (pour plus d'infos sur le Sakuteki, voir le livre "L'art de dresser les pierres").

Les jardins (étang + île(s)) viennent s'intégrer en osmose avec l'architecture de type shinden, représentative de l'époque. L'élément majeur de ces jardins reste l'étang, qui occupe très souvent bien plus de la moitié de la surface disponible. La manière la plus prisée de découvrir le jardin est de monter sur de petites embarcations et de naviguer sur le plan d'eau (la "promenade" à pied n'était pas au goût du jour car rendue difficile par le port vestimentaire très protocolaire et peu pratique de l'époque). Ces jardins sont cependant plus petits que les modèles originaux du continent du fait de la réglementation de l'urbanisme imposée par les Fujiwara, qui restreignent la superficie des domaines bâtis à l'intérieur de l'enceinte de la capitale. Il faut voir dans cette contrainte, l'origine de l'invention de la notion de "fûzei" (litt. "souffle et émotion") que cherchaient à atteindre les concepteurs de jardins de l'époque. L'agencement ainsi recréé devait suggérer la même émotion que celle éprouvée face à la Nature.

 

 

Influences du bouddhisme.
Si le confucianisme joue un rôle important sur l'évolution de la société et de la mentalité du peuple japonais, celui tenu par le bouddhisme (importé de Chine via la Corée dès le IIIe siècle et devenu religion d’état en 594) est tout aussi important. D'un point de vue social, il est le véhicule d'un certain sentiment de mélancolie et de nostalgie : selon les textes sacrés, l’humanité est entrée dans l’ère mappô 末法, troisième et dernière phase qui composent un cycle de la cosmologie bouddhiste. Cette phase décrite comme un déclin, durant lequel, catastrophes naturelles, corruption et chaos vont frapper les Hommes, est cependant un passage obligé vers un nouveau cycle marqué par l'arrivée d'un nouveau bouddha. Ainsi le sentiment général est proche de celui d'une fin de monde. Sur un plan esthétique, cela se traduira par l'adoration de ressentis tel que l'impermanence des choses (mujô 無常) ou la "notion du temps qui passe", la beauté du caractère éphémère de la vie et la mélancolie qu'elle peut provoquer (mono no aware 物の哀れ). De fait, les jardins de l'époque sont, sans aucun doute, ceux qui marquent le plus le "temps qui passe", la succession des saisons, grâce à la plantation d'arbres, arbustes et autres plantes qui y correspondent, comme dans le cas des jardins "4 saisons" (érables pour l'automne, cerisiers pour le printemps, etc.).

La noblesse n'est pas la seule à s'intéresser à l'art de dresser les pierres. Ainsi à l'époque des Fujiwara, deux sectes bouddhistes ésotériques occupent une place hégémonique : il s'agit des écoles Tendai et Shingon. Les moines qui sont eux aussi des érudits, vont s'essayer à l'aménagement de jardins dans leur temple, mais en occultant l'aspect "divertissement" et la référence à la poésie ou à la littérature. Ainsi les iwakura 岩座 (pierres sacrées) et autres kamiike 神池 (étangs sacrés) du Shintô, vont évoluer vers de nouveaux concepts représentatifs pour devenir par exemple, le mont Sumeru du bouddhisme hindouiste (devenu Shumisen 須弥山 en japonais, axe central de l'univers et demeure des dieux, entouré de 9 cercles de montagnes, 8 mers et de 4 continents) ou "l'étang au lotus" lieu où les âmes renaissent selon l'école de la "Terre Pure" (Jôdo 浄土). Les jardins de style Jôdo sont donc des représentations (Marc Peter Keane parle de "Mandala en 3 dimensions") du paradis du bouddha Amida (Amida Butsu 阿弥陀仏) décrit comme une île se trouvant vers l'ouest, à l'instar du Byôdo-in 平等院. Cette description d'une île paradisiaque venue d'Inde via la Chine, trouvera écho auprès des aristocrates nippons, qui y reconnaîtrons l'évocation de leur propre pays !

Ainsi, si ces premiers jardins réalisés par des japonais se réfèrent encore aux modèles coréens ou chinois pour la forme, le fond quant à lui reflète davantage les goûts et préferences de ce peuple insulaire. L'importance accordés aux paysages maritimes par exemple est spécifique aux japonais comme tend à le prouver l'excentricité de l'aménagement du Kawara no in réalisé par Minamoto no Tôru (822-895), évocation de la baie de Shiogama pour laquelle il fît mettre en place un système de canalisations permettant d'approvisionner son étang en eau saumâtre ! Soucis du détail : il procédait même à l'extraction du sel, activité principale des habitants de cette région. L'évolution des esprits est en marche et les aménagements de l'époque Heian possèdent déjà les principales caractéristiques qui se retrouveront tout au long de l'histoire des jardins nippons : importance du minéral, de l'eau et harmonie entre la ligne droite (les bâtiments) et la courbe (le jardin).

Pour voir une sélection de photos de jardins représentatifs de cette époque : merci de visiter la section "folio".

 

Le jardin Shoseien, Kyotô
  Shoseien(渉成園), Kyôto. Ce jardin a évolué au cours des siècles et a été aménagé sous sa forme actuelle par les célèbres Ishikawa Jozan et Kobori Enshu sur l'ancien site du Kawara no in.  

 


 

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