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Révolution du thé de la simplicité.

Ostentation et luxe contre Epuration et simplicité.
Yoshimistu (1358-1408) fût le troisième shôgun Ashikaga. Il entreprit de rétablir des relations avec la Chine des Ming. Des ambassades sont échangées et le commerce recommence à prospérer entre les deux pays. De fait, une nouvelle classe sociale, celle des marchands, va se développer grâce aux dirigeants de la classe des guerriers qui, ayant toujours voulu se hisser au même niveau "culturel" et "artistique" que celui de la noblesse, se constituent à grands frais de somptueuses collections d'objets d'art venus du continent.
Un autre point important est l'édification de forteresses par ces mêmes daimyô (puissants seigneurs territoriaux). Leur construction attire dans un premier temps de la main d'oeuvre ouvrière, mais aussi des samurai en quête d'emploi et de fait des commerçants qui vont se charger de faire vivre tout ce petit monde. Ces derniers vont, ici aussi, profiter de ces nouveaux marchés lucratifs et vont amasser de conséquents bénéfices, qui leur permettront à leur tour de s'intéresser au marché de l'Art.

Durant l'époque Muromachi (1136-1573), les classes élitistes se réunissent volontiers autour d'un thé. On prépare à ces occasions plusieurs liqueurs que l'on déguste à l'aveugle en essayant de retrouver leurs origines et terroirs (tôcha). Mais ces joutes gustatives restent surtout un prétexte pour exhiber sa collection d'objets d'art du continent à ses invités. Les poteries et peintures chinoises, achetées à prix d'or auprès des commerçants, sont tout particulièrement appréciées. Parallèlement à ce courant ostantatoire, une autre mouvance va venir épurer le fond et la forme de ces jeux fins, sous l'influence de la " nouvelle doctrine à la mode" tout droit débarquée du continent : le zen. Rappellons que Myoan Eisai (1141-1215), père de la secte zen Rinzai, fût le premier moine à ramener à Uji, près de Kyôto, des plans de thé pour les cultiver à des fins religieux. Alors que le thé était surtout employé jusqu'alors comme médecine et conditionné en blocs de feuilles, les rituels zen nécessitent l'emploi d'un thé réduit en poudre que l'on mélange avec de l'eau à l'aide d'un fouet en bambou (technique élaborée en Chine à la cour de l'empereur Hui Tsung). Certains historiens s'accordent à voir ici le fondement de ce qui deviendra le chanoyû, la cérémonie du thé que nous connaissons aujourd'hui.

 

Du zen dans le thé.
Avec le développement du zen, le thé "de la sobriété" pénètre chez les samurai, mais atteind aussi les classes "inférieures" comme celles des marchands (qui comme nous venons de le voir, entretiennent des contacts étroits avec les guerriers). De fait, les plantations de théiers se multiplient dans tout le pays (toujours sous l'égide des religieux) pour faire face à une demande de plus en plus importante.

Une nouvelle façon de faire le thé, implique de nouveaux outils. Ainsi, le moine Murata Shukô (1423-1502) sera un des premiers à solliciter l'artisanat local pour la fabrication d'ustensiles pour le thé (au lieu de les importer du continent), et l'on va utiliser des matériaux "bruts" pour leur confection (exemple : le chashaku, cette petite cuillère servant à doser le thé qui, à l'origine, était faite en ivoire en Chine, va être réalisée en bambou au Japon). Le "wabicha" (侘茶), thé de la simplicité, était né. Puis, un autre prêtre, Takeno Jôô (1502-55), développera les divers apsects métaphysiques et esthétiques de cette façon d'aborder le thé, suivant les traces de Shukô. Ainsi, ce sont les moines qui vont vouloir donner un nouveau cadre spécifique au wabicha. Sur le plan architectural, cela va se traduire par le fait que le style shoin des forteresses et demeures des nobles, va peu à peu muter vers une sorte de "clône naturel" qui deviendra le style sukiya. Nous avons employé les termes "clône naturel" pour désigner ce style, car il n'est pas en rupture avec le style shoin, mais en constitue une sorte d'épuration, de simplification, à l'instar de ce qu'ont subi les ustensiles du thé. Ainsi, tatami, shoji (fenêtres), fusuma (portes intérieures coulissantes recouvertes de papier), tokonoma (alcôve sacrée), chigaidana (étagères dissimétriques), etc. sont toujours présents mais le traitement qui leur est appliqué est lui, plus "brut", plus simple, plus naturel. Par exemple, les piliers utilisés dans la construction de pièces ou du tokonoma de style shoin, sont de section carrée et rabotés. Le style sukiya va privilégier des piliers bruts, c'est à dire de section ronde, avec leurs défauts, possédant encore parfois leur écorce. Bien que tous les matériaux utilisés soient sobres, ils peuvent être très rares et leur mise en oeuvre demande un très grand savoir faire et une minutie extrême. Le style sukiya est donc un style qui se veut simple, mais qui reste complexe et honéreux... paradoxe bien japonais au travers duquel, la beauté des matériaux est transcendée de manière raffinée.

 

Wabisabi, chanoyû et roji
Nous avons plus d'une fois souligné au travers de ces pages, l'importance de la relation entre le jardin et l'architecte. Le style sukiya, va porter cet état de fait à son paroxisme : le jardin va suivre à son tour le même traitement et devenir plus naturel, plus sobre, plus épuré. Il doit évoquer un chemin de montagne menant à un ermitage et va devenir l'écrin de ce que l'on appelle la cérémonie du thé, le chanoyû (茶湯, littt. "eau chaude du thé"). Le jardin, roji, n'est plus un lieu de contemplation, mais devient un parcours initiatique (cliquer ici pour plus de détails sur les caractéristiques principales du jardin de thé). Mais c'est sous l'influence de Sen no Rikyû (1522-1591), qui fût disciple de Takeno Jôô, que le "thé simple" va atteindre son apogée. C'est à Rikyû que l'on doit la codification du chanoyû telle qu'elle est parvenue jusqu'à nous. Il restera jusqu'à sa mort et même après, le maître absolu du wabicha et lui aura donné toutes ses lettres de noblesses en apportant un niveau de dépouillement et solennité jamais atteint. Le thé continuera d'évoluer au grès des tempéramentd des maîtres successifs, et penettrera au fil du temps l'ensemble des classes sociales. Les plus riches se constitueront de véritables roji comportant tous les éléments qui caractérisent ce archétype de jardin, les plus modestes, se contenteront d'imprégner dans les tsuboniwa de leur demeures, une ambiance wabisabi.

C'est de cet ensemble de choses que naîtra, ce qui constitue sans aucun doute l'essence même de l'esthétique japonaise : le wabisabi. Cette notion propre au wabicha qui glorifie la beauté des choses simples et vénère les traces du passage du temps, tire son nom des termes wabi 侘 (dérivé du verbe wabu わぶ, "languir" et de l'adjectif wabishi わびし, "solitude spirituelle") et sabi (dérivé du verbe sabu 寂ぶ, "décliner" et de l'adjectif sabishii 寂しい, "solitaire"), et se retrouve dans nombre de disciplines artistiques qui se sont développées grâce à cette véritable révolution qu'a été le "thé simple". Pour la première fois dans son histoire, le Japon élabore une esthétique qui lui est propre, sans influences extèrnes. Outre les jardins et l'architecture, on peut citer également : la calligraphie, l'arrangement floral, la poterie, l'artisanat du bambou, etc. Par delà les temps, cet esthétique reste encore aujourd'hui, très recherché et apprécié des japonais, et c'est pour cela que l'on peut affirmer que les jardins de thé sont sans doute les plus japonais des jardins japonais.

 

 

 

 


  Saiho-ji 西芳寺, Kyôto.  

 


  Taian (待庵), Kyôto. Intérieur de ce minuscule chashitsu ne mesurant que 2 tatami de superficie. Il aurait été construit par Sen no Rikyû et possède tous les attributs du style rustique cher au maître (bois bruts, utilisation du bambou, murs en torchis, etc.).  


 

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