Origines des jardins japonais.
Une Nature divine.
Nul doute que les Forces Naturelles de l’archipel japonais, ont joué un rôle capital et indéniable dans le fondement même de ce qu’est et a été la civilisation japonaise. L’activité volcanique et sismique, les typhons, les tsunami, la mousson, ont forcé le respect des premiers habitants qui, on peut l’imaginer facilement, ont craint cette Nature si peu hospitalière. Craint mais aussi admiré et aimé, car cette nature a su aussi se montrer génereuse et nourricière : des paysages sublîmes aux explosions de couleurs ponctuant le changement très marqué des saisons, des côtes maritimes rocheuses et déchiquetées, des sources de tous types (eaux pures et fraîches, eaux chaudes minéralisées ou naturellement radioactives aux bienfaits sanitaires), un climat propice à la riziculture, etc.
Pas étonnant dès lors, que ce peuple pensa habiter le "Pays des Dieux" et qu'il adopta une forme animiste de religion, vénérant cette Nature divine et ses manifestations au travers de rites toujours pratiqués aujourd’hui, que les Japonais nomment : shintô 神道, "La voie des Dieux”.
Dualités dans un espace délimité.
En Japonais, il existe de nombreux mots pour désigner un “jardin”, mais l’un des plus courants de nos jours est teien 庭園. Ce mot est composé des 2 idéogrammes (niwa et sono) qui chacun évoque une notion importante.
Durant la période Jômon ( -10000 à -300) , les peuples vivent de chasse et de collecte. Le mot niwa 庭 est sans doute employé pour désigner les territoires de chasse, kariniwa 狩庭, mais sert aussi à désigner les lieux des rîtes sacrés, les yuniwa 斎庭. Ces espaces étaient parfaitement délimités du reste de leur environnement (probablement par des touffes d'herbe nouées dans un premier temps, puis par des cordes sacrées shimenawa 標縄 ) , sans qu’il y ait toutefois une quelconque idée d'appropriation du dit lieu. "Limites” et “non appartenance” sont donc des notions essentielles à ce terme qui se rapporte à une nature “sauvage”, “non domestiquée”.
Avec le développement de la riziculture à la période Yayoi ( -300 à 300). L’Homme apprend à modeler le paysage à des fins agricoles. Il prend sans doute conscience à ce moment qu’il peut agir sur cette Nature et la contrôler dans une certaine mesure. En travaillant un lopin de terre, l’Homme a de fait, cherché à se l’approprier afin de jouir des fruits de son labeur. Les notions “d’appropriation” et de “Nature aménagée” sont donc venues compléter la notion de “limite” déjà existante. En termes linguistiques, ces évolutions de perception de l’environnement, se traduisent par l’apparition du mot : sono 園 où la notion “d’enceinte” apparait clairement dans le dessin même de son idéogramme.
Ceci illustre parfaitement cette “dualité au sein d’un même tout”, mode de pensée très courant du monde asiatique (cf : yin-yang ), qui se retouve dans les jardins japonais : une nature sauvage et une nature domestiquée se partagent en harmonie un même espace défini.
Apports culturels extérieurs : influences religieuses.
Le Japon primitif a connu au cours des siècles, différentes vagues d’immigration venues du Continent, chacune d’elles apportant son lot d’idées nouvelles. Le fait est que ces apports culturels extérieurs ont fortement influencé les autochtones, qui les ont non seulement acceptés, mais qui plus est, complètement assimilés. La facilité avec laquelle ces “nouveautés” furent intégrées, résident dans le fait que certaines trouvèrent un écho dans la propre culture japonaise, à l’instar de l’Art des jardins comme nous allons le voir.
Les premiers jardins aménagés pour les puissants de la civilisation impériale naissante, ont très probablement été réalisés par des Coréens sur les modèles chinois durant la période Asuka (552-710) et se référaient à la symbolique bouddhique et taoïste, comme nous l'apprennent les plus anciennes sources historiques traditionnelles japonaises, à savoir les : Kojiki 古事記 et Nihon Shoki 日本書紀 (annales Nippones, publiées respectivement vers 712 et 720). On peut lire dans ce dernier, qu'au début du VIIe siècle, un artisan coréen (qui avait pris le nom de Michiko no Takumi ) bâtit dans la cour du palais de l'imperatrice Suiko (554-628) , une colline symbolisant le mont Sumeru (Shumisen 須弥山 en japonais), axe du monde selon la tradition bouddhique.
Ainsi, ces jardins faisaient la part belle aux enrochements et aux étangs, les utilisant pour recréer sous une forme réduite, des lieux mytiques ou divins comme nous venons de le voir, mais aussi des lieux naturels singuliers du continent. L'idée que "eau et roches" puissent symboliser "océans et montagnes" fut sans doute naturellement acceptée, puisque le mot japonais pour "paysage" (sansui 山水) se compose de 2 idéogrammes voulant dire respéctivement "montagne" et "eau". Les japonais ont sans doute trouvé dans ces aménagements, un écho avec leur propre Iwakura 岩座 (pierres sacrées), Kami ike 神池 (étangs sacrés) et autres goshintai 御神体, éléments naturels (arbres, chutes d'eau, rochers, etc.), qui selon la croyance Shintô, abritent les demeures de kami 神, (divinités ou esprits). Dès lors, la création de jardins sucista des vocations : ainsi le ministre Soga no Umako (551?-626), contemporain de l'impératrice Suiko et un peu plus tard, le poète Otomo no Tabito (662-731) dirigèrent sans doute eux même l'aménagement de leur propre jardin, constituant ainsi le germe d'un Art du jardin qui allait devenir durant les siècles suivants, proprement japonais.
Durant la période Nara (710-794), la création d'étangs comportant un ou plusieurs îlots se systématise. A tel point que le mot "île" (shima 島) devient synonyme de jardin. Des fouilles archéologiques ont misent à jour dans la ville de Nara, des restes d'un ancien jardin ( le Tô-in teien 東院庭園) qui a été depuis re-créé, mettant en évidence l'importance de l'eau dans les jardins de cette époque. Les aristocrates japonais vont commencer peu à peu à se détacher des modèles chinois : plutôt que de les reproduire scrupuleusement, ils choisissent de représenter les lieux mytiques au travers l'évoquation de leurs propres paysages, avec une prédilection pour les évoquations maritimes (ce qui semble normal pour un peuple insulaire). Cette idée constitue une véritable scission en matière de conception de jardin, et deviendra encore plus importante, une fois les relations avec la Chine interrompues à partir de 894 durant la période Heian (794-1185). A partir de cette époque les jardins seront pensés, dessinés et réalisés par des japonais ; et même s'ils continuent d'intégrer les thèmes religieux "classiques" chinois, la manière de les traiter, va devenir peu à peu toute japonaise.
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Le Fuji San (富士山), volcan sacré du Japon, véritable déité Shintô. |
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Meoto Iwa(夫婦岩), baie d'Ise. Ici l'un des deux rochers représentant le couple de divinités fondatrices du Japon (Izanami et Izanagi) reliés par une corde sacrée, shimenawa (標縄). |
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Les cascades (taki 竜) pouvaient elles aussi être le "siège de divinité" (goshintai 御神体), c'est pourquoi on les retrouvera (tout comme les rochers, les étangs, les arbres vénerables, etc. ) parmi les éléments composants un jardin japonais. |
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