111117 : jeudi 17 novembre. Takamatsu

Nous venons de passer une soirée et la nuit au Doronkotei (litt. "la maison où l'on s'amuse dans la boue"). Une maison improbable, entre l'univers de Mad Max et Totoro. L'année dernière, j'avais déjà passé une nuit avec mes camarades Steve et Christian Gaudin. Nous avons fait une soirée pizza (il y a un four à bois) que nous avons agrémentée d'un nabe (sorte de fondue de légumes). J'adore la nourriture japonaise, mais lorsque les japonais se mettent à faire de la pizza, cela peut donner des choses étonnantes, comme notre pizza-dessert : banane-tomate-fromage... j'avoue, je n'ai pas trouvé le courage de goûter... S'en est suivi un "boeuf" comme on dit chez les musiciens : Nikosan à la batterie et un de nos hôtes au chant et à la guitare. C'était bien sympa, même si mes vêtements sentent encore l'odeur de la fumée du four à pizza.

Nous avons tous partagé la même chambrée, cela faisait un peu colonie de vacances. Voilà pourquoi au petit matin, Nikosan, se prenant pour le roi Lyre, se trouve aux côtés de Julia.

Mis à part les ronflements de certains (dont je tairai les noms), et le lever de soleil (pas de volets), la nuit a été agréable. Mais ce matin, j'ai un peu mal à la gorge et le nez pris. Je crois que j'ai pris froid en attendant que l'on vienne nous chercher sur le quai de Teshima... un p'tit rhume, rien de méchant, mais déjà que je me sentais fatigué, ça ne va pas arranger les choses. Et puis, comment faire avec un nez bouché dans un pays où les habitants pensent que c'est vraiment répugnant de se moucher ? Ici on préfère renifler pendant des heures... différence culturelle dirons nous.

Petit déjeuner au... feu de bois ! Un vieille cuisinière à riz a été utilisée par notre hôte. Le riz est d'une douceur étonnante avec un goût bien prononcé.

Pour ceux qui n'auraient jamais pris de petits-déjeuners au Japon, et bien oui, on mange du riz au réveil. On pourrait comparer le riz au pain, c'est à dire que l'on en mange à tous les repas.

Pour ma part, j'ai pris un bol de riz sur lequel j'ai versé un oeuf cru légèrement battu avec du shoyu (sauce de soja), qu'une soupe miso est venue accompagner. Si jamais il ne me viendrait pas à l'idée de manger de telles choses le matin en France, j'avoue qu'ici, cela ne me gène absolument pas.

A 9h précises, Ozaki san vient nous chercher. Taoka sensei l'accompagne. Il s'agit d'une des personnes qui nous accompagne pour les "choses du thé" depuis le début de cette aventure. Je m'aperçois que je ne l'ai pas encore mentionné, donc voilà, justice est rendue à cette dame fort sympathique. Nous nous rendons donc tous au Nakatsu Banshôen, un ancien domaine seigneurial situé dans la ville de Marugame.

Nous y retrouvons Mihara Keiji sensei, un des 10 artisans les plus réputés du pays travaillant le bambou. Il est venu de Nara pour organiser une série d'ateliers dans la région. Nous avons la chance de l'avoir pour nous tout seuls ce matin pour travailler des hanaire (vase). Mihara sensei est un personnage jovial, et c'est avec le sourire qu'il nous souhaite la bienvenue puis nous explique comment nous allons procéder.

En premier lieu, nous devons choisir notre morceau de bambou. Le choix est de premier ordre : des susudake (bambous généralement très anciens qui ont servis à la construction de toitures de maisons paysanes : le foyer -irori- de ce genre de maison est situé au coeur de la pièce principale. La fumée ne s'échappe pas par un conduit, mais s'élève directement vers le toit, à l'intérieur de la maison. Ce qui provoque un double effet : cela traite le chaume de la toiture contre les insectes tout en le rendant plus perméable et cela finit par donner une teinte brunâtre aux pièces de bambou de l'ossature de la toiture) et des morceaux de bambou provenant d'un stock donné par les moines du Todaiji de Nara !!!

Nous avons tous choisi des susdake vieux de 200 ans environ !!! incroyable que l'on mette à notre disposition ce genre de matériel. La pression monte : pas le droit à l'erreur !

Le sensei nous explique comment prendre les mesures pour ouvrir la "fenêtre" de notre future vase. Je l'avais promis, je le ferai : je vous donnerai tous les détails techniques de la procédure (je pense que je ferai cela sous forme de fiche technique, agrémentée des nombreuses photos que j'ai faites pendant cette session). Je n'ai pas le temps nécessaire pour m' y attarder ici.

En tout cas, je suis content, car la procédure que j'ai élaborée est finalement très proche de celle utilisée par Mihara sensei.

Taoka sensei entame la découpe inférieure de la fenêtre de son hanaire.

Les outils utilisés sont simples : marteau, scie, ciseau à bois.
Sur la photo, mon hanaire, après l'ouverture de la fenêtre.

Nos oeuvres. Celui du centre a été réalisé par le sensei en 10 minutes à peine... impressionnant spectacle de précision.

L'après midi fût consacré à la réalisation d'un chashaku (écope à thé). Mihara sensei nous montre comment courber une pièce de bambou à l'aide d'une lampe à pétrole.
Cet outil est le secret de la réussite. Le tube de la lampe concentre la chaleur sans brûler le bois. Avec une bougie (chose que j'utilisais jusqu'à présent) le même résultat est plus difficile à obtenir et plus aléatoire. Le bois est complètement sec, et après quelques secondes de chauffe, Mihara sensei lui donne la courbure voulue et fixe la forme dans l'eau froide.

Ci-contre, Julia polissant le dos du chashaku qu'elle vient de sculpter. Ici aussi, je vous donnerai plus de détails plus tard, en prenant soin de bien décrire chaque étape que j'illustrerai à l'aide de photos et dessin. Nous avons réalisé 2 chashaku chacun et Mihara sensei nous a offert des étuis pour les ranger.

Il était impressionnant de le voir travailler. Il passait nous voir régulièrement pour "rectifier" une forme, une courbure... le bambou semblait totalement obéir à ses manipulations... résultat de plusieurs décennies à travailler ce matériel... vraiment impressionnant.

Enfin, la journée s'est achevée par une visite du parc du Nakatsu Banshôen. Nous n'avons pas pu voir l'intérieur des chashitsu du parc qui étaient fermés, mais avons profité de l'extérieur, ce qui est déjà pas mal.

Demain, nous serons à nouveau en compagnie de Chujo sensei pour visiter quelques chashitsu et de l'intérieur cette fois !