Le terme furo (風炉) désigne un petit brasero portatif sur, ou à l'intérieur duquel, on pose un chagama. S'il est utilisé de nos jours exclusivement pendant la période estivale (l'année d'un chajin, un homme de thé, est organisée en 2 saisons de 6 mois chacune. La saison hivernale s'étend de novembre à avril, l' estivale de mai à octobre), il était à l'origine employé tout au long de l'année pour chauffer l'eau servant au thé, notamment en Chine, son pays d'origine. Rappelons brièvement qu'il est communément convenu que le thé en poudre (matcha) ainsi que son mode de préparation furent introduits au Japon par le moine Myôan Eisai (明菴栄西) en 1191 au terme d'un périple de 4 ans sur le continent (Cependant, certaines données récentes semblent attester que Eisai est au matcha ce que Colomb fut à l'Amérique. Ne pouvant nous attarder sur le sujet dans ce billet, nous y reviendrons sans doute à une autre occasion).
Le Kimenburo correspond donc au "design" chinois d'un brasero portatif utilisé à l'époque de la dynastie des Song du Sud. Il est caractérisé par son chagama "parfaitement ajusté" (furo et chagama forment une paire indissociable, le chagama reposant directement sur la périphérie de l'ouverture du furo. L'ensemble est dénommékirikakeburo - 切掛風炉), sa paire de kan (anneaux) accrochés à des kantsuki ornés le plus souvent de "masque de démon" (traduction littérale du terme "kimen"). C'est ce modèle "originel" qui va être au fil des années décliné sous diverses variantes (le chôsenburo et le ryûkyûburo sont deux bons exemples de l'évolution du concept), au gré de l'évolution des principes de préparation du thé, des modes, des tendances , des maîtres de thé ou encore de l'imagination des maîtres artisans. Les furo sont réalisés en fer au Japon à l'époque de Eisai. La technique de fabrication est exactement la même que pour un chagama, c'est à dire que l'on coule du métal en fusion dans des moules (un pour la partie haute, un pour la partie basse) qui sont ensuite assemblés. Les premiers exemplaires de ces furo seront au fil du temps "usés" par la corrosion et partiellement "décapités" leur donnant un aspect "rustique" qui sera très prisé avec l'essor au XVIe siècle de l'esthétique wabi-sabi . Dès lors, les kamashi (fabricants de kama) se mettront à briser sciemment à coup de marteau leurs réalisations tentant de leur donner ainsi un vrai aspect de "fausse antiquité" (c'est l'origine du Yatsureburo principalement utilisé dans le sadô moderne en octobre , mois wabi-sabi par excellence).
Quant aux designs des furo présents sur la seconde ligne de l'illustration principale de ce billet, il semblerait qu'ils soient directement liés au "cycle de vie" des furo en argile (utilisés par les vendeurs ambulants, on les trouvait aussi en cuisine ou en tout autre endroit où un usage "nomade" était nécessaire). De manière rapide, on peut dire que ces furo, du fait de leur conception, nécessitaient d'être régulièrement remplacés. La partie la plus fragile étant la partie haute (celle où repose le kama), il était courant de "découper" cette partie une fois trop abîmée et de continuer à utiliser le furo avec cette fois, un gotoku (五徳 - trépied métallique) puisque l'ouverture du furo n' était plus ajustée à la taille du kama. Au passage, notons que le gotoku était placé dans le sens inverse à celui que nous utilisons aujourd'hui dans le cadre de chanoyu, c'est à dire que la partie circulaire était tournée vers le haut, de manière à recevoir le soko (底 partie basse) du kama qui venait alors s'encastrer à l'intérieur, tandis que son ha(羽 "l'aile" - voir le billet 120715) l'empêchait de passer au travers. Cette méthode de maintien d'un kama au dessus du feu était largement répandue dans les temps anciens, dans les cuisines des palais jusqu' aux modestes irori (囲炉裏 ou 居炉裏 - foyer central enterré) de minka (民家 maisons paysanes). Plus tard, avec le développement de chanoyu et l'apparition de chagama plus petites et démunies de ha , on renversa le gotoku, permettant ainsi de l'utiliser plus facilement avec toutes sortes de chagama (le soko reposant directement sur les trois pieds).
Ce qui est certain , c'est qu'avec l'arrivée des furo en terre, l'usage du gotoku s'est systématisé (tout simplement du fait que les furo n'étaient plus adaptés aux kama qu'on leur adjoignait). Certains furo en terre étaient utilisés pour des cérémonies formelles. Pour en améliorer l'apparence, ils étaient recouverts de laque noire et posés sur une petite planche en bois elle aussi laquée (koita - 小板) que nous utilisons toujours aujourd'hui dans le cadre de chanoyu. Les furo en fer étaient eux posés sur une sorte de gros carreau d'argile (shikigawara - 敷瓦).
Mais revenons à notre furo en argile. Sa silhouette ainsi "décapitée", devait ressembler à une forme proche de celle du Mayuburo. Au fil des utilisations, la partie haute se fragilisant toujours plus, on continuait à la découper par strates successives, jusqu'à arriver à la hauteur du himado. Vous aurez compris que le résultat visuel devait alors s'approcher d'un Hiramaruburo, d'un Dôanburo ou encore d'un Onishiburo. Dans ces deux derniers cas, leur dénomination est constituée du nom de leur "designer", respectivement Sen noDôansama ( fils aîné légitime de Sen no Rikyu sama) et Onishisama (voir le billet 120519).
Notez que ce billet repose sur des recherches effectuées à titre personnel et n'est en rien exhaustif, ni catégorique.
Comme indiqué précédemment , il existe de nombreuses autres formes de furo, j'ai cependant essayé d'évoquer ici les "grands classiques" utilisés de nos jours dans le cadre de sadô.
à suivre... (ou pas).
120715 - chadogu (茶道具) > chagama (茶釜)
Le terme chagama désigne une bouilloire (kama) dont l'usage est exclusivement réservé au cadre de sadô (茶道, voie du thé). C'est dans le chagama que l'on fait chauffer l'eau qui sera utilisée lors de la préparation du ou des bols de matcha, le fameux thé vert en poudre. Le chagama est un ustensile symboliquement et hiérarchiquement important, puisque c'est lui qui "accueille" les invités lors d'un ochakai (お茶会, rencontre autour du thé) de son mélodieux "matsukaze" (松風 - son évoquant celui du "vent dans les pins" émis par l'eau frémissante dans le kama).
L' aspect utilitaire du chagama ne doit pas faire oublier pour autant qu'il peut être une véritable oeuvre d'art (voir le billet N°120519 sur Onishi Seiwemon XVI). Mais même dans le cas d'un "simple" chagama d'entraînement, ce dernier devra être traité avec respect et grand soin (comme à vrai dire, avec tous les autres objets de thé). La relation aux objets, tant pour l'hôte que pour ses invités, est une chose particulière et importante dans le monde du sadô. L'histoire du thé au Japon est jalonnée d'anecdotes racontant la vénération portée par des personnages de premier plan (tels Oda Nobunaga ou Toyotomi Ideyoshi pour ne citer que les plus céléèbres) pour tel ou tel autre objet de thé. Une vénération qui pouvait conduire à des batailles dont le but non avoué n'était autre que de faire main-basse sur un chawan, un chaire ou encore un chagama jouissant d'une forte renommée et surtout, en possession d'un clan adverse ! Oui, en ces temps là, le thé était exclusivement une affaire d'hommes (bien loin donc de l'image actuelle. Simple constat, sans misogynie aucune). Bref, la chose importante à retenir dans tout cela, c'est que quel que soit l'objet que nous avons devant nous (ou entre les mains) lorsque nous sommes invités à un ochakai, nous nous devons de lui témoigner le plus grand des respects, car l'objet en question a été choisi à notre attention par le teishu (亭主 l'hôte) et revêt certainement une certaine valeur, si ce n'est une valeur certaine (qu'elle soit marchande ou sentimentale). Dans le cas d'un chagama, au vu de la somme d'efforts qu'un kamashi (le fabricant de kama) doit fournir pour arriver à la pièce finale, on ne peut qu'être admiratif et respectueux devant un tel ouvrage.
Ci-dessus une nomenclature non-exhaustive, dans laquelle j'ai compilé les principales dénominations usitées pour l'appréciation d'un chagama. On notera l'utilisation courante de termes se reportant au corps humain (analogies évocatrices de l'importance accordée à l'objet ?). Je remercie au passage Julia Inisan pour la précieuse aide apportée dans le déchiffrage des kanji qui m'étaient inconnus.
120519 - 大西清右衛門美術館 - Onishi Seiwemon Museum
Il y a peu, j'ai eu le plaisir de revoir à nouveau Onishi Seiwemon XVI sama. En novembre dernier, j'avais déjà eu le plaisir de participer grâce à l'association Shikoku Muchujin à un ochakai ("rencontre de thé") mené par le maître. Mais cette fois, c'est au sein de son musée de Kyôto que, sollicité par Sôkisensei (mon maître de thé), il a eu la gentillesse de nous accorder une entrevue privée.
Petit rappel de circonstance : A l'époque Azuchi-Momoyama (1573 à 1603), 72 artisans fondeurs, artisans "chaudronniers" étaient installés dans le quartier de Sanjo-Kamanza à Kyôto. Tous détenaient la précieuse licence accordée par le gouvernement qui les autorisaient à faire commerce de leur art et produisaient ainsi des outils de la vie courante, des gongs et des lanternes à usage religieux et, bien entendu, des ustensiles pour la cérémonie du thé.
Le célèbre maître de thé Sôeki (Sen no Rikyu) avait sélectionné 10 maisons d'artisans (千家十職Senke Jushoku) auprès desquelles il commandait la réalisation d'objets pour son office. Chacun avait sa spécialité : l'un travaillait le bois, l'autre le papier, la laque, le bambou, sans oublier la céramique et le métal. Tous ces artisans, ainsi que leurs descendants, ont joué un rôle essentiel dans la préservation des techniques et savoir-faire traditionnels, tout en oeuvrant pour leurs développements en créant de nouvelles formes et de nouveaux procédés de fabrication pour répondre aux commandes des iemotoqui se succédèrent jusqu'à nos jours à la tête des 3 branches de la famille Sen (Ura Senke, Omote Senke et Mushanokoji Senke).
La famille Onishi appartient à ce cercle fermé des 10 familles et continue de produire, depuis 400 ans et 16 générations, des bouilloires (茶釜chagama) pour la cérémonie du thé. A l'endroit même de l'atelier de son ancêtre Onishi Jourin (1590-1663) qui travailla pour Sen no Rikyu, l'actuel représentant de la famille, Onishi Seiwemon XVI, a ouvert en novembre 1998 un musée privé pour préserver le patrimoine familial et tenter de regagner l'intérêt des jeunes générations nipponnes pour cet forme d'art.
C'est donc bien conscients de la chance qui nous était offerte que Sôkisensei et moi arrivions et nous présentions à 17h00 précise au Onishi Seiwemon Museum. Après les salutations d'usage, nous nous sommes retrouvés dans un chashitsu (salle de thé) attenant au hall d'entrée, où très vite Onishi Seiwemonsama nous rejoignait et on nous servit le thé (matcha) accompagné d'un délicieux assortiment de kashi ("sucreries" servies avec le thé). Puis nous avons été invités à voir l'atelier, là où tous les objets du maître sont fabriqués avec l'aide de ses assistants. Onishi Seiwemonsama nous a expliqué le processus d'élaboration et de fabrication d'un chagama, prenant le soin de nous montrer les matériaux et les outils employés. Le maître essaie de retrouver les techniques d'autrefois, qui malheureusement pour certaines ont été perdues au fil du temps, mais dans les grandes lignes, les étapes de fabrication restent inchangées depuis le XVIe siècle.
Tout part du dessin de la forme générale du chagama. Des gabarits en bois sont élaborés à partir du contour d'un demi chagama (l'objet étant parfaitement symétrique). Le gabarit est ensuite maintenu au centre d'un cylindre dont l'intérieur est tapissé d'un savant mélange de terre, de sable, de paille et d'eau appelé mane. On tourne ensuite le gabarit sur son axe central, qui en repoussant la matière va "imprimer" la forme du chagama dans ce qui va devenir un moule externe ( 2 moules sont nécessaires : un pour la partie supérieure, un autre pour la partie inférieure du chagama). L'opération est répetée plusieurs fois avec un mane de consistance de plus en plus fine.
C'est sur les parois internes du moule supérieur que peuvent être "gravés" des motifs décoratifs (jimon). Aucune décoration n'est faite sur la partie inférieure puisqu'elle ne sera pas visible lors de l'utilisation du chagama (la partie inférieure étant cachée soit par le furo - brasier portatif- soit par le ro - foyer enterré). C'est un travail long et minitieux entièrement réalisé à la main. (sur les photos ci-dessus, on peut voir Onishi Seiwemon XVI en train de créer un motif appelé "ararehada"). Ces moules sont ensuite cuits (afin d'augmenter leur résistance), remplis entièrement d'un nouveau mélange de terre pour fabriquer le moule interne. Ce dernier est cuit à son tour, et sous l'action de la chaleur va se contracter et devenir inférieur à sa taille originale (ce qui va laisser un espace libre entre les moules externes et le moule interne pour couler le métal en fusion). L'étape suivante consiste à enduire les parois des moules d'une fine barbotine contenant de la poudre de charbon, ce qui facilitera le démoulage par la suite.
Puis le métal est coulé dans les moules assemblés (Les 2 moules externes renfermant le moule interne) par une petite ouvertue (yuguchi) située sous le chagama, en son centre. Après le refroidissement de l'ensemble, les moules sont brisés et le chagama extrait. Tout le travail effectué sur les moules est donc perdu, puisqu'à chaque production ces derniers sont cassés. De fait, chaque chagama est également une pièce unique.
Dernière étape : le chagama est chauffé et enduit de laque (漆 - urushi) sur toute sa surface extérieure, lui donnant son aspect définitif tout en protégeant le métal. Les finitions tirant sur le rouge sont obtenues en ajoutant de l'oxyde de fer à la laque. Il semble que dans les temps anciens, chaque maître possédait sa propre "recette" de finition.
Suite à la visite de l'atelier, nous sommes montés au 7e étage, où se trouve un petit jardin de thé (roji) de toute beauté et 2 chashitsu dans lesquels sont présentés divers objets (de thé) réalisés par la famille Onishi et mis en situation : chagama, kensui(建水 - réceptacle pour eaux usées), futoaki(蓋置 - litt. : repose couvercle),furo(風炉 - brasero portatif pour chagama), gotoku(五徳 - trepied pour chagama) et autre kamagusari (釜鎖 - chaîne de suspsension de chagama, comme sur la photo ci-dessus où je suis au côté de Onishi Seiwemon sama). C'est dans une autre pièce, non ouverte au public, que le maître des lieux nous a dévoilé quelques uns des trésors familiaux. En tout une bonne dizaine de chagama, tous très différents dans leur style, le plus ancien ayant été réalisé par Onishi Jourin, le plus récent par notre hôte… la boucle était bouclée.
Nous n'étions, Sôkisensei et moi, malheureusement pas autorisés à prendre de photo, aussi, si le sujet vous intéresse, je ne pourrais que vous encourager à visiter lors d'un prochain passage à Kyôto, ce petit musée dont les collections présentées changent régulièrement au fil de l'année. N'oubliez pas de monter au 7eme étage !
Le Musée Onishi est ouvert de 10:00 à 16:30, tous les jours sauf les lundis. Entrée 800 yen pour un adulte. Possibilité de boire un thé assorti de okashi pour 500 yen. Pour plus d'informations, merci de consulter le site web du musée (en anglais).
Plan de situation (cliquer sur l'image ci-dessous).
Si vous n'avez rien compris à mes piètres explications sur les étapes de la fabrication d'un chagama, je vous invite à consulter les vidéos ci-dessous.
Elles présentent le travail de Keiten Takahashi (1920-2009), ayant reçu le très prestigieux titre de "Trésor National Vivant".
Les vidéos sont en japonais, mais les images parlent d'elles mêmes. Merci de commencer par la vidéo de gauche.