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Caractéristiques
Les jardins promenades de l'époque Edo (1603 - 1868) sont des jardins fastueux appartenant pour la plupart à de puissants seigneurs (daimyô 大名). C'est une période de paix, Tokugawa Ieyasu s'est imposé comme shôgun au terme de luttes intestines et a réussi à fédérer toutes les provinces du Japon. Le pays étant devenu relativement calme, l'argent des seigneurs n'est plus exclusivement consacré aux dépenses militaires et ce sont les commerçants, artisans et autres maîtres jardiniers qui vont en être les premiers bénéficiaires (voir historique). Ainsi, on agrandit les jardins existants : ne pouvant plus s'affronter par les armes, c'est au travers les "signes extérieurs de richesse" que les daimyô vont rivaliser. Le jardin devient alors un outil diplomatique (ou tout au moins politique), et sert d'apparat lors des réceptions importantes. Les bases de ces "nouveaux jardins" sont souvent celles de plus anciens de style shinden. On élargit l'étang, on remodèle le paysage alentours, on repousse au maximum les limites du jardin (jusqu'à atteindre 60.000 m2 pour les plus grands : daikaiyûshiki teien 大回遊式庭園 ou daimyô teien 大名庭園). Lorsque un étang est présent (ce qui est la grande majorité des cas), on parle alors de chisen kaiyûshiki teien 池泉回遊式庭園. Notons que l'emploi de ces termes pour designer les jardins sont modernes et n'étaient pas employés au XVIe siècle, on utilisait plutôt le terme yashiki teien 屋敷庭園 (litt. "jardin belle demeure").

En temps de paix, les occupations ne sont plus les mêmes, et si la classe des bushi (guerriers) continue de pratiquer les arts de la guerre, il est vrai que les notions de loisirs et de réjouissances occupent de plus en plus les esprits des personnes fortunées (émergence de la culture de la classe des marchands, où la notion de plaisirs/loisirs est essentielle). Le goût des japonais pour le voyage notamment, est caractéristique de cette époque : la politique d'isolationnisme et sécuritaire imposée par le shogunat, fait qu
'un bon nombre de japonais profite des pèlerinages (et surtout du fait que des laisser-passer sont accordés aux pèlerins) pour découvrir les beautés naturelles de provinces redevenues sûres.  Cet amour pour le dépaysement et les paysages naturels, va fortement influencer les créateurs de jardins de cette époque, tout particulièrement en ce qui concerne  le tracé des parcours et les perspectives offertes, grâce à l'utilisation de la technique du "paysage emprunté" (shakkei 借景). Cette dernière consiste à intégrer comme arrière plan au jardin, le paysage naturel alentour. Ainsi, les évocations de lieux mystiques ou religieux, sont volontiers remplacés par des représentations de lieux tirés d'oeuvres littéraires ou poétiques, et/ou de lieux "touristiques" célèbres chinois ou japonais (meisho 名所), comme le fujisan (Mont Fuji) par exemple. Parfois, on recrée même des paysages entiers en miniature (technique appelée shukkei 縮景) qui deviennent le thème général du jardin (comme la représentation des 53 étapes du tokaidô, route reliant Kyôto à Edo, aujourd'hui Tokyo).

 

Globalement le caractère sacré attaché aux précédents archétypes de jardin a totalement disparu, les aspects esthétique et ludique ayant pris le pas sur le reste. Si l'on continue de trouver des groupements de pierres (en moins grand nombre cela dit), c'est avant tout leur caractère graphique et leur pouvoir évocateur qui est mis à l'honneur (on joue beaucoup sur la dualité de pierres féminine/masculine). Ici, nulle référence à un quelconque goshintai 御神体 (siège de divinité shintô), l'agencement des éléments constitutifs est réalisé afin de développer un effet esthétique maximal, et n'est plus dicté par les anciennes règles de la géomancie chinoise.

Cela dit, les jardins kaiyûshiki s'inscrivent également dans une continuité issue des jardins classiques, dans le sens où ils restent une célébration de la Nature, une rencontre entre l'Homme et son environnement. Le jardin cherche à exprimer des émotions, de la spiritualité, au travers une Nature re-créée et domestiquée, comme le signale M.P. Kean dans son ouvrage "L'Art du Jardin au Japon" : "le jardin crée une esthétique harmonieuse en conciliant la crainte respectueuse de la Nature et la nécessité de la dominer". On modèle donc totalement le paysage : on fabrique des étangs, des îles bien entendu, mais aussi de fausses collines hautes de plusieurs dizaines de mètres (technique appelée tsukiyama 築山, utilsée dans une moindre mesure depuis l'époque Heian dans les jardins de style shinden). La construction de "montagnes artificielles" rencontre un tel succès à cette époque, qu'un manuel technique lui est même consacré aidant au développement et à la diffusion de ce type d'aménagement (il s'agit du Tsukiyama Teizouden 築山庭造伝, écrit par le créateur de jardin Kitamura Enkin en 1735). Arbres et arbustes sont taillés et formés  avec le plus grand soin (ensemble de techniques appelées karikomi 刈込), parfois même en forme cubique (hakozukuri 箱造, litt. "style boîte"). On plante des fleurs et des essences aux floraisons (ou aux feuillages) remarquables pour marquer le passage des saisons qui seront prétextes à diverses festivités. Les techniques ancestrales sont toujours utilisées : Le jardin reste entouré d'une enceinte, le jeu du contraste entre angle droit et courbes naturelles (caractéristique majeure des jardins japonais selon Günter Nitschke) est toujours au coeur du dispositif créatif, l'équilibre dans l'asymétrie est de rigueur avec l'utilisation, entre autres, de composants sous forme de triade, etc. Bien que dénué de caractère sacré comme nous l'avons dit précédemment, on continue de respecter au sein du jardin, la symbolique héritée du passé (on reconnaîtra ici un trait de caractère proprement japonais) : îles grue et tortue (tsurujima 鶴島 et kamejima 亀島) continuent d'évoquer (bien que plus rarement) la félicité et la longévité, au même titre que les représentations du mont Hôrai 蓬来山 , du "Paradis de l'Ouest" (voir jardins de style shinden). Enfin, cascades, ruisseaux et ponts font aussi partie des éléments communs à cet archétype de jardin, mais sont bien plus imposants et démonstratifs que ceux jusqu' alors employés.

 

Le monde du thé apporte lui aussi son lot d'éléments "classiques" au jardin kayûshiki : on retrouve des lanternes de pierre sur les parcours (ishidôrô 石灯籠), des bassins à ablutions (tsukubai 蹲踞), des chemins pavés de pierres naturelles (tobiishi 飛石, nobedan 延段, etc.) et le respect du principe du mitatemono 見立物, qui consiste à donner une "seconde vie" aux objets, comme par exemple le fait d'utiliser en guise de chôzubashi 手水鉢 (vasque en pierre), une ancienne base de pilier. La cabane à thé (chashitsu 茶室) évoquant un ermitage en montagne est devenue bien plus grande, s'est multipliée et se trouve parfois installée en partie au dessus de l'étang. Une fois encore, c'est avant tout la dimension ludique et esthétique qui  est la préoccupation première des créateurs de jardin, les préceptes trop rigoureux des époques précédentes n'ont plus lieu d'être. Parfois, un chaniwa "classique" est incorporé en entier à un kaiyûshiki, ou devient le thème principal de ce dernier. Il en va de même pour les jardins secs (karesansui) qui deviennent aussi des parties intégrées d'un jardin bien plus vaste.

Quels que soient les éléments constitutifs utilisés, la technique principale reste le miegakure 見え隠れ, technique consistant à révéler et à cacher une succession de plans à la personne qui parcourt le jardin. Ceci implique une grande expérience en terme d'aménagements et une très grande attention lors du tracé du cheminement à emprunter : celui-ci devra d'une part, donner l'illusion d'une plus grande distance à parcourir et d'autre part, comporter suffisamment de courbes et contre-courbes, afin de permettre l'aménagement des différents plans, impossibles à visualiser dans leur ensemble. Afin de masquer certaines vues à certain moment, on utilise toute une panoplie d'artifices tels que bosquet ou haie végétale, clôtures de bois ou bambou (gaki 垣), murs en pissé, etc. Représentatifs de l'intervention de l'Homme sur son environnement, murs et clôtures permettent au créateur de jardin d'exprimer son talent créatif. Si l'aménagement est réussi, la promenade devient alors un véritable voyage pendant lequel le visiteur admire une succession de vues cadrées, de "tableaux", qui se révèlent tour à tour à lui pour son plus grand plaisir.

 

En conclusion, on remarquera que les jardins kaiyûshiki, constituent une sorte de synthèse édulcorée des autres archétypes de jardins japonais, puisqu'ils incorporent nombres d'éléments, de techniques et d'esthétiques empruntés aux jardins de style shinden, chaniwa et karesansui. Il faut noter que cet archétype s'applique également au jardin des demeures de certains samurai dont les dimensions sont plus modestes, l'étang est alors souvent absent ou remplacé par une petite mare. Le jardin n'en reste pas moins naturaliste et invite à la déambulation au même titre que ses autres représentants de plus amples importances.

Il faut noter cependant que karesansui et chaniwa ainsi que les différents éléments classiques utilisés, ne sont plus que des pâles interprétations stéréotypées des archétypes originels. Totalement vidés de l'essence spirituelle des premiers jardins japonais. Ils sont annonciateurs des jardins "modernes" d'après la restauration de Meiji (1868), qui n'évolueront plus et se cantonneront à réutiliser des "recettes" éprouvées dans lesquelles la forme prime sur le fond. Question d'évolution de société certainement... Il faudra attendre Mirei Shigemori (1896–1975) architecte-paysagiste, pour retrouver les valeurs traditionnelles japonaises transcendées dans ses travaux d'aménagements radicalement modernes. Mais ceci est une autre histoire....

 

 


  Détail du jardin promenade au Ryôan-ji (竜安寺) de Kyôto. Les montagnes en arrière plan, sont intégrées à l'ensemble du jardin par l'intermédiaire d'un second plan composé d'arbres plantés spécialement à cet effet (technique de la "vue empruntée" ou shakkei 借景).  

 


  Détail sur les azalées taillées en grandes masses compactes (ôkarikomi 大刈込) ou en boules de petite taille (kokarikomi 小刈込).
Shisen-dô
(詩仙堂), Kyôto.
 

 

 


 

Le Sôchinkyo 漱枕居 du Shosei-en 枳殻邸 à Kyôto, et l'un des 4 pavillons de thé de ce jardin promenade. Il est en partie construit sur l'étang Ingetsu-chi 印月池 (litt. étang du sceau de la Lune).

 


 

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