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Caractéristiques
Le terme tsubo désigne une unité de mesure toujours utilisée au Japon pour définir une surface. Un tsubo avoisine la superficie d'un carré d'environ 182cm de côté ( 182 cm correspondant à un ken , l'unité de base en architecture traditionnelle, égale à la mesure d'un homme couché). Ces valeurs ont évolué au cours de l'histoire du Japon, pour devenir standards à partir de l'époque Edo (1615-1868). Un tsubo est donc aujourd'hui égale à 3.3058 m2, ce qui correspond environ à la surface de 2 tatami. Un tsuboniwa, est par association, un jardin à la superficie réduite, entouré de bâtiments ou de clôtures, d'où la traduction généralement accordée de "jardin-cours".

Les premières évocations de tsuboniwa datent de l'époque Heian (794-1185), dans ce qui constitue le premier roman connu de l'histoire de la littérature mondiale : Le Dit du Genji (genji monogatari, 源氏物語) où l'enchevêtrement des bâtiments constituant une résidence de style Shinden (voir shiden zukuri ), créait de petits morceaux de terrains coincés entre 2,3 ou 4 murs. Ces parcelles vides apportent lumière et air frais aux pièces aux quelles elles sont attenantes. On y place une plante ou un groupe de plantes de la même essence, qui vont donner au jardin son nom (exemple : fujitsubo, le jardin aux glycines ou kiritsubo, jardin au paulownia). Le palais impérial de Kyoto offre encore la possibilité d'admirer ce genre de jardin très simple dans sa forme. Le tsuboniwa va continuer d'évoluer tout au long des époques pour atteindre son apogée entre les XIVe et XVIIe siècles, au sein de demeures que l'on appelle : machiya (町家 ou 町屋). Représentatifs de cet art proprement japonais qu'est l'évocation de la Nature dans un espace restreint, c'est aux jardin-cours de ces bâtiments que nous allons tout particulièrement nous interesser.

 

Le terme machiya désigne les maisons/magasins des marchands de l'époque Edo (classe qui prit de l'importance d'un point de vue économique dès le XVe siècle). Le style omoteya 表屋造 se caractérise par une façade étroite donnant côté rue et une enfilade d'espaces sur 2 étages : plus on pénètre vers le fond de la demeure, plus on quitte l'espace public, pour le privé (kyoshitsubu 居室部). Ainsi le magasin (mise) se trouve logiquement côté rue, puis viennent les pièces de réception (zashiki 座敷) et d'habitation, séparées du magasin par une cour intérieure, géneralement aménagée en jardin (nakaniwa 中庭). Dans le fond de la parcelle, on trouve des remises (dozô 土蔵 ) servant à stocker les marchandises précieuses. Dans certains cas, ces remises sont précédées par un second jardin (géneralement plus grand que le premier appelé okuniwa) qui constitue véritablement l'attrait principal de la demeure, et qui est réalisé dans le but d'être vu depuis le zashiki (zashikiniwa 座敷庭).

Le goût de l'époque pour le monde du thé imprègne fortement les mentalités, ainsi tout homme cultivé se doit de connaître les principes de la cérémonie du thé (chanoyu 茶湯). Comme nous l'avons rapidement précisé, les marchands se sont enrichis et des fortunes se sont créées, parfois bien plus importantes que celles de certains seigneurs (daimyo 大名). C'est donc tout naturellement que les plus aisés d'entre eux, aient pu se faire élaborer des demeures avec des tsuboniwa évoquant le monde du thé ( se réferant aux principes esthétiques du wabi-sabi 侘寂 , voir chaniwa). On y retrouvera donc essentiellement les principaux éléments constitutifs du chaniwa, à savoir : tsukubai 蹲踞 (ensemble d'éléments comprenant un bassin à ablutions), ishidorô 石灯籠 (lampe en pierre), tobiishi 飛石, litt. "pierres volantes" (pas japonais), gravier, pierres, mousse, etc. mais avec une attention toute particulière apportée à l' esthétisme de l'ensemble. En effet, ne pouvant pas afficher ouvertement leur richesse (à cause des règles strictes qui régissent la vie de chaque classe à cette époque), c'est au plus profond des maisons que de véritables trésors se cachent: pierres de qualité exceptionnelle (on n'insistera jamais assez sur la relation importante que les japonais entretiennent avec le minéral. Certaines pierres peuvent encore aujourd'hui valoir de véritables fortunes), chuzubachi (vasque en pierre) et ishidôrô anciens ou ayant appartenu à des temples ou personnages célèbres, etc.

Bien entendu, le tsuboniwa ne se cantonne pas au monde des machiya, et l'on trouve dans les temples par exemple, des aménagements dans la pure tradition zen qui correspondent aux principes du paysage sec (voir karesansui). De même comme nous l'avons dit en introduction, on pourra trouver également au sein d'un tsuboniwa, toutes sorte de plantes "ornementales" comme la glycine, le camélia, l'azalée, mais aussi les érables japonais, les nandines, aucubas et autres arbustes à baies colorées, etc... Le jardin-cours, n'est donc pas "prisonnier" d'un style particulier, il s'adapte aux désirs et moyens de son propriétaire.

 

En conclusion, on peut se demander si au final, le tsuboniwa constitue véritablement, un archétype à part entière, puisque empruntant son "vocabulaire", aux autres archétypes tel que le karesansui ou le chaniwa. Notre parti-pris a été cependant de vous le présenter en tant que tel, car d'un point de vue formel, le tsuboniwa, reste le seul archétype de jardins japonais intimement lié à l' architecture traditionnelle. Si sa fonction reste avant tout pratique (apport de lumière et d'air frais), elle évolue avec le temps vers une fonction esthétique (possibilité d'observer et de jouir de la vue du jardin depuis l'intérieur des bâtiments adjacents). Mais cette imbrication du jardin dans les bâtiments est telle, que M.P. Keane fait remarquer dans son livre 'L'Art du jardin au japon", que le terme tsubo, possède des homonymes dont l'un désigne un point d'acupuncture, entendant par là, que le tsuboniwa joue un rôle analogue dans la circulation du ki (l'énergie vitale) au travers de l'habitation. Comme tant de choses au Japon, une apparente simplicité, cache en réalité un très grand savoir-faire et une somme de connaissances qui dépasse allègrement le simple cadre de la dite chose. De même dans un espace si petit, il n' y a pas de place pour l'erreur : les différents éléments constitutifs doivent être choisis et positionnés avec le plus grand soin, il en va du bon équilibre de l'ensemble.

Ainsi, le tsuboniwa, est sans doute, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'un des archétypes de jardin japonais les plus difficiles à réaliser.

 

 

 

 

 


  Exemple de jardin-cours de l'époque Heian. (Palais impérial, Kyôto).  

 


  De l'eau, des pierres, de la mousse, et un camélia. Ces seuls éléments réussissent à composer un espace naturel à l'intérieur d'une surface minuscule.
(quartier de Gion, Kyôto).
 

 

 


 

Gravier ratissé, rochers, cet aménagement reprend les codes esthétiques du karesansui, jardin zen par excellence (Ginkaku-ji, Kyôto).

 


 

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